« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant. Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. » |
Marguerite Yourcenar est une femme de lettres française.
Romancière, nouvelliste et autobiographe, elle est aussi poétesse, traductrice, essayiste et critique littéraire.
Il y a peu de différence entre le pain et les livres. On les pétrit pour leur donner forme et on les laisse grandir. »
Qui était Marguerite Yourcenar ? Derrière l’image de la grande écrivaine, première femme élue à l’Académie française en 1980, se cachait un être libre et passionné. Celle qui se considérait comme la « servante des oiseaux » et voyait la cuisine comme une alchimie, a pleinement vécu en accord avec ses convictions.
Citoyenne du monde, pionnière de l’écologie, militante de la cause animale…Au travers de son art de vivre et d’une sélection de ses recettes de cuisine préférées, de nombreux documents d’archives parfois inédits et de ses écrits, se dessine le récit intime de sa vie.
– Elles en ont dit –
Les admirateurs de Marguerite Yourcenar ne doivent pas passer à côté de ce beau livre écrit par Achmy Halley, spécialiste de l’écrivaine, première femme à avoir été élue à l’Académie française en 1980.
Richement illustré de photos et d’archives, préfacé par Amélie Nothomb, ce portrait intime retrace le parcours hors du commun d’une fillette née De Crayencour, profondément aimée par un père aristocrate qui, ruiné par ses excès, lui aura transmis le plus bel héritage: le goût de la liberté, du voyage et de la culture.CHANTAL GUY | LA PRESSE | 2019Quelle belle idée de dépoussiérer l’image un peu figée de la première femme élue à l’Académie française et de nous offrir ce portrait d’une Marguerite Yourcenar vibrante, passionnée, curieuse de tout. Et cela dès l’enfance, grâce à une complicité avec un père qui l’initiait aux grands auteurs comme aux voyages. De ses pérégrinations à travers l’Europe, Yourcenar conservera toute sa vie une soif de liberté.
Cette soif qui influencera ses romans est en filigrane dans cet ouvrage qui nous parle tout aussi bien du travail d’écriture, des sources d’inspiration, des amours de la célèbre habitante du Maine que de son affection pour les chiens, son goût pour le bon pain (qu’elle cuit chaque semaine), son admiration pour Bob Dylan et son souci pour l’environnement.
C’est ainsi qu’elle donnera une conférence à Québec en 1987, quelques mois avant de mourir, qui est un véritable testament écologique.
Cette biographie au style aussi vivant que poétique se lit comme un roman… en savourant un lait de poule ou ces scones aux raisins dont on trouvera avec plaisir la recette à la fin de l’ouvrage.Chrystine Brouillet | Journal de Montréal