( 1913 – 1960 )
écrivain français, philosophe, romancier, dramaturge, journaliste, essayiste et nouvelliste français. Il est aussi journaliste militant engagé dans la Résistance française.
Albert Camus, homme du soleil, fou de méditerranée
⎯ Lettre par Albert Camus à son instituteur
le 19 novembre 1957, à son premier instituteur Louis Germain, avec qui il a étudié à l’école communale de la rue Aumerat, à Alger. Des mots que l’écrivain français a couchés sur papier peu de temps après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature, pour remercier son enseignant sans qui « rien de tout cela ne serait arrivé.
⏤ La tragédie de la vieillesse n’est pas d’être vieux, mais d’être jeune.
À l’intérieur de ce corps vieillissant se trouve un cœur toujours aussi curieux, aussi affamé, toujours aussi plein de désir que dans sa jeunesse.
Je suis assis près de la fenêtre et je regarde le monde passer, me sentant comme un étranger dans un pays étranger, incapable d’entrer en relation avec le monde extérieur et pourtant, en moi brûle le même feu qui, autrefois, pensait pouvoir conquérir le monde.Et la vraie tragédie, c’est que le monde reste si lointain et si insaisissable, un endroit que je n’ai jamais été capable de saisir pleinement.
« J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous.
Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »
⎯ Je vis comme je peux dans un pays malheureux
« Héritière d’une histoire corrompue, où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir.
Je vis comme je peux… dans un pays malheureux.
J’essaie, en tout cas, solitaire ou non, de faire mon métier. Et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans l’assez affreuse société intellectuelle où nous vivons,où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coup de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence.Que faire d’autre alors, sinon se fier à son étoile et continuer avec entêtement la marche aveugle, hésitante, qui est celle de tout artiste et qui la justifie quand même, à la seule condition qu’il se fasse une idée juste, à la fois de la grandeur de son métier, et de son infirmité personnelle ? Cela revient souvent à mécontenter tout le monde.
Je ne suis pas de ces amants de la liberté qui veulent la parer de chaînes redoublées ni de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert bien la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice.
Je vis comme je peux, dans un pays malheureux, riche de son peuple et de sa jeunesse, provisoirement pauvre dans ses élites, lancé à la recherche d’un ordre et d’une renaissance à laquelle je crois.
Sans liberté vraie, et sans un certain honneur, je ne puis vivre. Voilà l’idée que je me fais de mon métier. »
Extraits de « La peste »
Ah ! Si c’était un tremblement de terre !
Une bonne secousse et on n’en parle plus…
On compte les morts, les vivants, et le tour est joué.
Mais cette cochonnerie de maladie !
Même ceux qui ne l’ont pas la portent dans leur coeur. »« … ce monde sans amour était comme un monde mort et qu’il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d’un être et le cœur émerveillé de la tendresse. »
« Il est vrai que le mot de « peste » avait été prononcé, il est vrai qu’à la minute même le fléau secouait et jetait à terre une ou deux victimes.
Quand on fait la guerre, c’est à peine si l’on a vu un mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination.Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c’est trop bête. » Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer.
Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer.
Nos concitoyens n’étaient pas plus capables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. »
Extraits des Carnets
« J’ai voulu vivre pendant des années selon la morale de tous. Je me suis forcé à vivre comme tout le monde, à ressembler à tout le monde. J’ai dit ce qu’il fallait pour réunir, même quand je me sentais séparé. Et au bout de tout cela ce fut la catastrophe. Maintenant j’erre parmi des débris, je suis sans loi, écartelé, seul et acceptant de l’être, résigné à ma singularité et à mes infirmités. Et je dois reconstruire une vérité, après avoir vécu toute ma vie dans une sorte de mensonge. »
« Quand le monde est dans la lumière,
quand le soleil tape,
j’ai envie d’aimer et d’embrasser,
de me couler dans des corps comme dans des lumières,
de prendre un bain de chair et de soleil.
Quand le monde est gris, je suis mélancolique et plein de tendresse.
Je me sens meilleur, capable d’aimer au point de me marier.
Dans un cas comme dans l’autre, ça n’a pas d’importance. »« Instant d’adorable silence.
Les hommes se sont tus.
Mais le chant du monde s’élève et moi, enchaîné au fond de la caverne, je suis comblé avant d’avoir désiré.
L’éternité est là et moi je l’espérais.
Maintenant je puis parler. »« Journée radieuse. Au loin, la mer et le ciel étincellent également confondus. Comme chaque matin, le jardin et l’odeur des jasmins, aujourd’hui les oiseaux exultent. »
« Immobile sur le pont supérieur et les mouettes descendent
et continuent leur vol patient tout près de moi.
Mouettes obstinées avec leur œil globuleux,
leur bec de sorcière, leurs muscles inépuisables »« Dans le jour bref qui t’est donné,
réchauffe et illumine, sans dévier de ta course.
Des millions d’autres soleils viendront pour ton repos.
Sous la dalle de la joie, le premier sommeil.
Semé par le vent, moissonné par le vent, et cependant créateur,
tel est l’homme, à travers les siècles, et fier de vivre un seul instant »« Oui, peu ont été plus naturels que moi. Mon accord avec la vie était total, j’ai adhéré à ce qu’elle était, de haut en bas, sans rejeter aucune de ses ironies, de ses ampleurs et de ses servitudes »
« Quand on a vu une seule fois le resplendissement du bonheur sur le visage d’un être qu’on aime, on sait qu’il ne peut pas y avoir d’autre vocation pour un homme que de susciter cette lumière sur les visages qui l’entourent. »
Albert Camus, Carnets
Carnet I mai 1935 – février 1942 Il s’agit d’abord de se taire – de supprimer le public et de savoir se juger. D’équilibrer une attentive culture du corps avec une attentive conscience de vivre. D’abandonner toute prétention et de s’attacher à un double travail de libération – à l’égard de l’argent et à l’égard de ses propres vanités et de ses lâchetés. Vivre en règle. Deux ans ne sont pas de trop dans une vie pour réfléchir sur un seul point. Il faut liquider tous les états antérieurs et mettre toute sa force d’abord à ne rien désapprendre, ensuite à patiemment apprendre. |
Carnet II janvier 1942 – mars 1951 Poser la question du monde absurde, c’est demander : “Allons-nous accepter le désespoir, sans rien faire ?” Je suppose que personne d’honnête ne peut répondre oui. |
Carnet III mars 1951 – déc 1959 « Chaque matin quand je sors sur cette terrasse, encore un peu ivre de sommeil, le chant des oiseaux me surprend, vient me chercher au fond du sommeil, et vient toucher une place précise pour y libérer d’un coup une sorte de joie mystérieuse. Entre 1951 et 1959, Albert Camus écrit, L’Été, La Chute, L’Exil et le royaume. Il réagit aux polémiques déclenchées par L’Homme révolté, à la tragédie de la guerre d’Algérie, voyage en Italie et en Grèce, reçoit le prix Nobel… |