Puisqu’il faut vieillir

 

I

l faut vieillir.
Ne pleure pas,
ne joins pas des doigts suppliants,
ne te révolte pas,
il faut vieillir.
Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir,
mais comme le rappel d’un départ nécessaire…

Éloigne-toi lentement, lentement, sans larmes ; n’oublie rien !
Emporte ta santé, ta gaîté, ta coquetterie, le peu de bonté et de justice qui t’a rendu la vie moins amère ; n’oublie pas !
Va-t’en parée,
va-t’en douce, et ne t’arrête pas le long de la route irrésistible,
tu l’essaierais en vain,
– puisqu’il faut vieillir !
Suis le chemin,
et ne t’y couche que pour mourir.

Et quand tu t’étendras en travers du vertigineux ruban ondulé,
si tu n’as pas laissé derrière toi un à un tes cheveux en boucles,
ni tes dents une à une,
ni tes membres un à un usés,
si la poudre éternelle n’a pas, avant ta dernière heure, sevré tes yeux de la lumière merveilleuse
– si tu as, jusqu’au bout gardé dans ta main la main amie qui te guide,
couche-toi en souriant,
dors heureuse,
dors privilégiée… »

Les vrilles de la vigne, Colette

Dans ces instants de vie, esquisses, portraits, contes et nouvelles, l’auteure, déja sensible à la fuite du temps, s’efforce de rassembler ses souvenirs et de restaurer l’unité de sa vie.
Publiés deux ans après son divorce en 1906,
ils sont une métaphore de l’écrivain pour conquérir son indépendance dans et par l’écriture.
Avec un tableau expliquant l’établissement du recueil et une chronologie.