Ça y est j’ai peur.
Peur de tout et de n’importe quoi, de toutes les peurs sauf celle de mourir. J’ai peur de dire que je suis français et pire marseillais (je supporte l’OM en brandissant l’étendard amazigh).
Peur de dire que je suis athée et bouffeur de bigots.
Peur de ne pas faire le ramadan à Toulouse en pleine période de jeûne, peur d’une insulte, d’un crachat ou d’une baffe pleine poire.
Peur qu’on dise à ma mère que je ne crois pas en Dieu, peur de salir son honneur, peur de la tuer.
J’ai peur de plus avoir de famille, de me retrouver seul.
J’ai peur pour les miens à supposer qu’ils le soient.
J’ai peur de dire que je suis algérien, infusé de névroses post coloniales, peur de la jouer victime, peur de l’argument de l’excuse qui n’est pas à mes yeux si illégitime, j’ai aussi peur de la police, du drapeau tricolore et du bonnet phrygien, peur de la croix.
J’ai peur de trop bien parler, d’écrire ce qu’on attend trop de moi, peur de penser ce que je pense, d’être jugé, voué à toutes les gémonies, j’ai peur de moi.
J’ai peur d’avouer que je pleure encore les dessinateurs de Charlie, tel curé, tel flic, tel juif, tel blanc (ou arabe d’ailleurs) victime de balles islamistes ou plus souvent connardes, peur d’être traité de traitre, d’apostat, de frère indigne pour les uns ou de mauvais français pour les autres.
J’ai peur de ceux qui ne croient pas en Dieu mais qui s’en gardent un dans la poche au cas où, j’ai peur de ceux qui croient en l’homme pour mieux devenir son loup.
Peur du laïcard opportuniste et peur du raciste laïc, peur autant de la nuit que de la lumière.
Peur d’être coupable d’un crime qui n’y ressemble pas, d’un crime sans cadavre ni flaques de sang, oui peur d’être le coupable de tous.
J’ai peur de ne pas être le bon arabe, celui du futur, peur de l’être trop ou pas assez. Peur de perdre la France, peur de perdre l’Algérie, d’être orphelin d’un deuil ou d’une naissance, peur d’être d’aucun camp ou d’un seul.
J’ai peur d’être de quelque part, pire de nulle part.
J’ai peur des hommes qui ne sont que des jongleurs, peur des mots qu’on met entre leurs mains et qui finissent par devenir des hymnes ou des slogans.
J’ai peur d’hésiter, peur de la vérité qui est un possible mensonge. J’ai peur d’avoir à ne plus douter de moi, encore plus des autres, peur aussi de douter de tout comme si tout se valait.
Peur de ne pas croire à ce que je vois, d’être dans les limbes, désabusé, gazeux, inutile. J’ai peur d’être ce que je suis qui ne sait plus où il en est, peur de plus savoir ce qui vaut d’être défendu, de voir s’évanouir l’idée qui tenait bon la veille ou d’en voir naître une autre qui s’apprête à mourir aussitôt.
Peur de me retrouver en arme de mon propre ennemi ou défenseur d’un ami qui en dernier ressort me poignardera dans le dos, peur d’être moi-même un faux ami. J’ai peur de ma turpitude narcisse, de l’angoisse d’être anonyme. J’ai peur de choquer, d’offenser ou de plaire.
Peur de ceux qui m’aiment pour de mauvaises raisons.
J’ai peur de faire peur et peur d’avoir peur, j’ai peur de me tromper … la belle affaire.
⎯ Magyd Cherfi
Français. Kabyle. Écrivain. Chanteur de Zebda.