Christian Bobin

poète, moraliste et diariste

« La poésie c’est le bec grand ouvert de l’oisillon,
et un silence qui tombe dans la gorge pourpre. »

Christian Bobin
est né le 24 avril 1951 au Creusot en Saône-et-Loire
où il demeure.

À la fois poète, moraliste et diariste,
il est l’auteur d’ouvrages dont les titres s’éclairent les uns les autres comme les fragments d’un seul puzzle.

⏤ Quelques titres ⏤

 
► Une petite robe de fête
► Souveraineté du vide
► Éloge du rien
► Le Très-Bas
► La part manquante
► Isabelle Bruges
► L’inespérée
► La plus que vive
► Autoportrait au radiateur
► Geai
► Tout le mande est occupé
► La présence pure
► Ressusciter
► La lumière du monde
► Le Christ aux coquelicots


Pierre,
2019
Le romancier exprime son admiration pour P. Soulages.
Il guide le lecteur pour une visite de la maison et de l’atelier du peintre, lui fait entendre ses mots, lui montre ses tableaux avant de raconter son voyage en train vers Sète, à Noël 2018, pour commémorer l’anniversaire du peintre.
Un ouvrage entre réflexion philosophique et portrait intime.

« Dans son dialogue intérieur, Bobin nous fait sentir son amour pour l’homme et l’artiste. « Ce qui me touche dans ta peinture, c’est sa puissance de renouvellement, une salve de résurrections. Rien de plus maigre que du noir ratissé à gauche, à droite, verticalement, en oblique. On devrait s’ennuyer et c’est le contraire qui advient. »
Bobin signe ici un portrait intime, lumineux, précieux de Soulages. Et nous laisse un peu secoué, comme dans un songe d’une nuit d’hiver. »

La grande vie
2014
EXTRAITS
Ce qui manque à ce monde, ce n’est pas l’argent.
Ce n’est même pas ce qu’on appelle « le sens ».
Ce qui manque à ce monde
c’est la rivière des yeux d’enfants,
la gaieté des écureuils et des anges

Un visage humain,
c’est une lettre à déchiffrer,
porteuse de vie ou de mort.

L’humanité a faim,
plus encore que de pain ou de sexe,
d’une vraie gaieté.

La poésie c’est le bec grand ouvert de l’oisillon,
et un silence qui tombe dans la gorge pourpre.

 

Une petite robe de fête
On ouvre des portes, une à une.
La distance qui sépare une porte de la suivante,
on met des mois à la franchir, parfois des années.
On est sans impatience.
On va d’un pas égal, ni trop lent, ni trop pressé.
La main sur la poignée tremble à peine.
Dans une pièce il y a un cerisier en fleur.
Dans une autre trois flocons de neige.
Dans une autre encore une chaise de lumière.
On reste sur le seuil, on s’efface contre la porte.
On laisse entrer ce qui est bien plus grand que soi
– on laisse aller le ciel auprès du cerisier,
l’enfance courir jusqu’à la neige,
l’ombre s’asseoir sur la petite chaise.
Et puis on repart ouvrir d’autres portes, un peu plus loin.
C’est une activité somnambule, faussement calme, à peine consciente.
On appelle ça : écrire.

 

La femme à venir
On est d’abord loin du livre,
loin de la maison.
On est d’abord loin de tout.
On est dans la rue.
On passe souvent par cette rue-là.
La maison est immense.
Les lumières y brûlent jour et nuit.
On passe, on ne s’arrête pas.
Un jour on entre.
Dans la maison incendiée de lumière,
dans le livre ébloui de silence, on entre.
On va tout de suite au fond,
tout au bout du couloir,
tout à la fin de la phrase,
tout de suite là.
Dans la chambre aux murs clairs, dans le cœur noir du livre.
On se penche au-dessus du berceau de merisier.
On regarde, c’est difficile de regarder un nouveau-né,
c’est comme un mort : on ne sait pas voir.
On s’attarde, on se tait.
On regarde la petite fille endormie dans le berceau de lumière. Albe, c’est son nom.

 

La lumière du monde
Un homme qui dort,
et presque tous les hommes dorment,
est riche de son sommeil.
Si la grâce lui ouvre durement les yeux,
il ne verra d’abord que l’étendue de sa perte.
S’il l’accepte, ce sera pour lui une vraie joie
– même si cette joie peut sembler folle.

Aimer quelqu’un, c’est le lire.
C’est savoir lire toutes les phrases
qui sont dans le cœur de l’autre,
et en lisant le délivrer.
C’est déplier son cœur comme un parchemin
et le lire à haute voix,
comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.

Il y a plus de texte écrit sur un visage
que dans un volume de la Pléiade et,
quand je regarde un visage,
j’essaie de tout lire,
même les notes en bas de page.