Éric-Emmanuel Schmitt

dramaturge, romancier, nouvelliste, essayiste, cinéaste

 

Eric-Emmanuel Schmitt
Eric-Emmanuel Schmitt est traduit en 45 langues et joué dans plus de 50 pays.
Il est considéré comme l’un des auteurs les plus lus et les plus représentés dans le monde.
Il a été élu en janvier 2016 à l’unanimité par ses pairs comme membre de l’Académie Goncourt.
 
 
 

À paraître le 8 février prochain

LA TRAVERSÉE DES TEMPS – 1 – PARADIS PERDUS | 2021
Noam, jeune homme doué d’immortalité, entreprend le récit de son destin à travers les siècles, à la recherche de l’essence de la vie, des civilisations et de l’aventure spirituelle de l’humanité.
Le récit commence il y a 10.000 ans, quand un cataclysme modifie le cours de l’Histoire avec l’épisode du déluge.
Les tomes suivants conduiront Noam jusqu’aux temps modernes.

 
 
 

Extraits

 
NOAM.

«  – Noam…
Son nom vibre dans la cavité obscure. Ouf ! Sa voix fonctionne
aussi.
Il se rembrunit. Les syllabes qui ont rebondi de mur en mur
perturbent l’atmosphère ; avec un mot, un seul, les hommes, les
clans, les peuples, les nations, l’Histoire ont fait irruption,
menaces lourdes et opprimantes, si éloignées du bonheur animal
qu’il goûtait auparavant. Noam. Son prénom l’accable.
Noam. S’il s’appelle, ni une mère ni un père ne chuchotent ces
sons. Noam. Solitude. Extrême solitude. Sur ce point, une
renaissance vaut moins qu’une naissance… »

 

Journal
d’un amour perdu
2019
 « Maman est morte ce matin
et c’est la première fois qu’elle me fait de la peine. »

Pendant deux ans, Eric-Emmanuel Schmitt tente d’apprivoiser l’inacceptable : la disparition de la femme qui l’a mis au monde.
Ces pages racontent son « devoir de bonheur » : une longue lutte, acharnée et difficile, contre le chagrin.
Demeurer inconsolable trahirait sa mère, tant cette femme lumineuse et tendre lui a donné le goût de la vie, la passion des arts, le sens de l’humour, le culte de la joie.
Ce texte explore le présent d’une détresse tout autant que le passé d’un bonheur, tandis que s’élabore la recomposition d’un homme mûr qui n’est plus « l’enfant de personne » .
Eric-Emmanuel Schmitt atteint ici, comme dans La nuit de feu, à l’universel à force de vérité personnelle et intime dans le deuil d’un amour.
Il parvient à transformer une expérience de la mort en une splendide leçon de vie.

 

Extraits

UNE FEMME

U

ne femme m’a porté, mis au monde, m’a permis de grandir, de mûrir, m’a transformé en homme heureux, puis, une fois assurée de mon autonomie, m’a accompagné à distance ; or je me rends compte qu’au fond de l’adulte présumé subsistait un petit garçon qui pensait sa mère tellement belle, guérisseuse, puissante, qu’elle triompherait aussi de la camarde.
« Ma mère ? Elle va la tuer, la mort ! »

Ce petit garçon s’est éteint aujourd’hui.
Avec elle.

Quand un enfant vient au monde,
une mère aussi vient au monde.
Chaque naissance est une double naissance.

De toi, je n’ai reçu que de la tendresse, de l’attention, de la considération, de l’enthousiasme.

De toi, j’ai recueilli la passion d’exister, le désir d’admirer, l’ivresse d’entreprendre.

De toi, je ne conserve aucun mauvais souvenir, seulement chaleur, lumière, joie.

Pas moyen de déterrer un instant où ton sourire se serait fermé, où ton écoute aurait failli,
où une éclipse aurait terni ta bienveillance.
Impossible de me rappeler la seconde où tu m’aurais déçu.
Ton amour se révélait aussi généreux qu’inusable.
 
Le bonheur n’est pas un enfant, mais un veuf. Parce qu’il a vécu, désiré, aimé, joui, pleuré, gagné, échoué, regretté, espéré, désespéré, le bonheur sait le prix des personnes, la fragilité de la vie, le privilège luxueux d’exister, l’ivresse d’être là, de ressentir des émotions, d’épouser le monde et de percevoir sa beauté.

Le vrai bonheur affiche sa maturité ; son visage comporte mille rides et cent cicatrices. Il n’y a d’heureux qu’un ancien malheureux.
 
LES SENTIMENTS
Les sentiments vont par deux, comme l’ombre et la lumière.
Il n’y a pas de sentiments célibataires, tous vivent en couple.
Notre sottise consiste à les séparer. Ne garder que l’Espoir. Supprimer la Tristesse. Mettre le Doute au cachot.
Mais sans le Doute, la Foi devient intolérante, puis violente, puis meurtrière.
Mais sans la Tristesse, la Joie se connaît si peu qu’elle s’ignore ou se délite.
Mais sans le Désespoir, l’Espoir vire à la bêtise. Ne souhaitons pas leur divorce. Tâchons plutôt de trouver notre place au milieu de ces tensions.
 
QUE DE PRÉSENT PERDU !
On passe sa jeunesse à se préparer à vivre, sa vieillesse à se souvenir d’avoir vécu. Ce faisant, on rate le présent qui seul existe en tombant dans deux pièges, celui de l’avenir qui n’existe pas, celui du passé qui n’existe plus. Que de temps perdu ! Ou plutôt : que de présent perdu !
 
DOULEUR
La douleur n’élève pas, elle ratatine.
Loin de nous améliorer, elle nous amenuise.
Elle ne conduit pas à des pensées sublimes,
elle condamne à ne plus penser du tout.
La douleur n’a rien d’un privilège qui ennoblit,
tout d’un fléau qui fout à terre.
 
La nostalgie à l’avance…
Un coup de poignard du futur dans le présent.
Un coup de poignard du malheur sur le cœur du bonheur.
Un coup de poignard du néant dans l’être.
 
La vraie sagesse ne revient pas à détenir des certitudes
mais à apprivoiser l’incertitude.
 
J’aime les tournées théâtrales, chaque instant relève de l’inédit.
Parcourir des kilomètres, entrer dans une ville inconnue,
y chercher aussitôt le théâtre
comme le voyageur assoiffé cherche la fontaine,
saluer les administratifs
et les techniciens en s’estimant plus nomade que jamais, prendre possession d’une loge,
découvrir une scène forcément différente de celle qu’on a foulée la veille
et de celle qu’on utilisera le lendemain,
l’arpenter, trouver ses repères,
lancer sa voix à travers la salle,
apprivoiser l’acoustique,
expérimenter sur sa peau les lumières successives du spectacle.

J’aime les théâtres, tous les théâtres, les moches, les mignons, les somptueux, les colossaux, les intimes, les baroques, les jansénistes, les coquets, les poussiéreux, les refaits, les à refaire, les ni faits ni à faire.
 
LE MYSTÈRE QUI NOUS FAIT EXISTER
Simplement, je cultive la confiance.
Confiance dans le mystère qui nous fait exister.
Confiance dans la vie.
Confiance dans la mort.
La vie fut une belle surprise, la mort sera une belle surprise. De quel ordre ? Aucune idée !
Croire ne revient pas à savoir.
Croire consiste plutôt à habiter l’ignorance avec confiance.

 

⏤ Citations tirées de ses publications ⏤

LA PEAU
« Seule la peau sépare l’amour de l’amitié.
C’est mince … »
⎯ L’élixir d’amour
 
LA JOIE
« Conquérir sa joie vaut mieux que de s’abandonner à la tristesse. » notait Gide le 12 mai 1927 dans son Journal.

« Qu’est-ce que la joie ?
Une façon pleine, satisfaite, reconnaissante d’habiter l’existence.
Le joyeux ne manque de rien. Pourtant il n’a pas tout – qui possède tout? En revanche, il se contente de ce qu’il a.
Mieux : il s’en délecte.
Le joyeux n’éprouve pas de frustration.
Alors qu’au déçu, au déprimé, au mélancolique, au fatigué, tout fait défaut.
Si la tristesse est conscience d’une absence, la joie est conscience d’une présence.
Quand la tristesse vise ce qui n’existe pas ou plus – chagrin d’avoir perdu quelqu’un, dégoût de se savoir faible, mortel, impuissant, limité -, la joie découle d’une plénitude.
Elle crie notre plaisir d’être vivants, là, éblouis par ce qui nous entoure.
Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie.
Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien.
Elle célèbre. Elle remercie. La joie est gratitude.
Quelle légèreté nous apporte la joie en nous délestant de ce qui nous alourdit, ambitions, regrets, remords, obsessions, amertumes, illusions, prétentions !
Notre époque n’aime pas la joie. Elle aime l’étourdissement et le divertissement, ces pratiques qui nous arrachent à l’ennui ou l’affliction sans approcher la joie. Dans le joyeux, elle ne voit qu’un abruti, jamais un sage.
Or, il y a une sagesse de la joie.
Heureux de vivre, non seulement je consens mais j’aime:
je consens à ce qui existe et j’aime ce qui tombe sous mes sens.
J’épouse et j’adore l’univers. »
⎯ Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent
 
UN AMOUR ESSENTIEL
D’un amour essentiel, on ne se remet pas.
Si on s’en remet, c’est que, de toute façon, ça n’en valait pas la peine.[…]
Une fois, j’ai vu la foudre toucher un arbre.
Je me suis sentie très proche de lui.
Il y a un moment où l’on brûle, où l’on se brûle, c’est intense, merveilleux.
Après, il ne reste que des cendres.
⎯ La rêveuse d’Ostende
 
DES PENSÉES QUI PÈSENT
Livre-lui tes pensées.
Des pensées que tu ne dis pas,
ce sont des pensées qui pèsent,
qui s’incrustent,
qui t’alourdissent,
qui t’immobilisent,
qui prennent la place des idées neuves
et qui te pourrissent.
Tu vas devenir une décharge à vieilles pensées
qui puent si tu ne parles pas.
⎯ Oscar et la dame rose
 
SIMPLICITÉ
Sans doute faut-il beaucoup de maîtrise
et d’abandon pour oser la simplicité.
⎯ Ma vie avec Mozart
 
ÊTRE PHILOSOPHE
«- Julien: Être philosophe, est-ce que ça empêche de mourir ?
– Marie : Non, mais ça doit aider à vivre ! »
⎯ Hôtel des deux mondes
 
LA LITTÉRATURE
La littérature ne bégaie pas l’existence,
elle l’invente,
elle la provoque,
elle la dépasse
⎯ Variations Énigmatiques
 
AUJOURD’HUI
« Au lieu de s’inquiéter
de ce qui se passera demain,
les hommes feraient mieux de s’interroger
sur ce qu’ils font aujourd’hui. »
⎯ L’Évangile selon Pilate
 
CINQ SECONDES
« Cinq secondes, elle s’était sentie la femme fondamentale, la femme absolue, la femme universelle, celle que convoitent tous les mâles, de quelque génération qu’ils fussent. Ce sentiment l’avait remplie d’orgueil et elle avait inspiré l’air avec force. »
⎯ Les Perroquets de la place d’Arezzo
 
CELUI QUE NOUS DEVONS ÊTRE
Quand devenons-nous celui que nous devons être ?
Dans notre jeunesse ou plus tard ?
Adolescents, malgré les données d’intelligence et de tempérament, nous sommes en grande partie fabriqués par notre éducation, notre milieu, nos parents ; adultes, nous nous fabriquons par nos choix.
⎯ Concerto à la mémoire d’un ange
 
LE REGARD AMOUREUX
Le regard amoureux, ce n’est pas un regard conquérant – ça c’est le regard du séducteur ou de la séductrice -, c’est un regard où il y a une grande humilité…
Je pensais au regard aussi de pur amour que les chiens peuvent avoir sur nous… La demande d’amour, c’est quelque chose de très humble, ce n’est absolument pas la conquête.