Karim Akouche

poète, romancier, dramaturge et chroniqueur kabile

« Si tu veux dominer un peuple, fais-lui oublier ses racines, déguise-le en pantin, fais-le tourner, amuse-le, parle-lui ensuite de châtiments et de mort.
Si tu veux l’assimiler, dis-lui que sa langue est un idiome, sa culture du folklore, sa patrie le monde. j
Si tu veux le faire disparaître, et si tu ne peux pas l’exterminer physiquement, colonise sa mémoire et emplis son histoire de héros imaginaires… »

Karim Akouche
Karim Akouche

 

né le 21 novembre 1978
à Bou Mahni dans la commune d’Aïn Zaoui
dans la Wilaya de Tizi Ouzou, en Algérie,
Il vit au Québec depuis 2008.

 

 

 

Déflagration des sens
( septembre 2020 )

L’Algérie bouillonne. Le peuple rumine sa colère. Pour étouffer toute révolte, les autorités arrosent les jeunes de l’argent du pétrole. Kamal Storah, alias Kâmal Sûtra, obtient, après une longue période de chômage, une subvention de l’État et achète un minibus. Quelques mois plus tard, c’est la désillusion : il n’y a plus de passagers. Kâmal Sûtra décide de transformer son minibus en bordel ambulant. Dénoncé par les islamistes, traqué par la police, il fuit vers le Sahara…

D’une plume crûment réaliste, Karim Akouche use et abuse du droit au blasphème. Son roman, haut en couleur et en révolte, raconte une jeunesse frustrée et sans repères, dans une Algérie schizophrène, suspendue entre archaïsme et rêves de liberté.

⎯ EXTRAIT

«Allah akbar», tu entends? Comment ne pas devenir frigide? Toujours la même cassette. Qu’on innove un peu, qu’on mette autre chose: du rock, du blues, du chaabi, du groove, du gospel, du Ravel, du Mozart, du Chopin… Il faut que je parte d’ici… mais où ? À l’étranger ? En France ? En Australie ? En Abyssinie ? En Suède ? En Israël ? Au Nunavut ? Sur la planète Mars ? Qu’importe ! Les chemins ne mènent plus à Rome, tous nos boulevards aboutissent au désert… Mes yeux et mes oreillesj sont saturés : Allah ici, Mohammed là, le Jugement dernier, le paradis, les houris, les flammes de l’enfer… On a fait de Dieu un sadique, camarade. Un Duvalier, un Mugabe, un Gengis Khan. Il n’a délégué personne pour montrer aux hommes le droit chemin. Dieu est adulte. Il est majeur et circoncis. Moustachu, il n’a pas besoin de tuteur… »


Lettre à un soldat d’Allah

« L’islam, l’islamisme et leurs avatars,
la laïcité et ses ennemis,
la gauche et ses errances,
l’Algérie et ses démons,
la crise de la citoyenneté,
l’ultra-consumérisme
et le règne du spectacle,
les conséquences des « printemps arabes » …
autant de thèmes abordés dans les textes de combat
et de réflexion rassemblés dans ce livre. »

Leurs titres annoncent la couleur :
« Déchire ton niqab »,
« Les faux humanistes et les idiots utiles de l’islamisme »,
« Portrait de l’islamiste en fossoyeur du monde »,
« Percheurs de haine, je vous emmerde »,
« L’Algérie arabe est une imposture »…
Point d’orgue de ce recueil, une « Lettre à un soldat d’Allah » adressée à un jeune homme conquis par l’idéologie djihadiste, que l’auteur questionne d’un « tu » assassin.

Toute femme est une étoile qui pleure

Un monologue poétique qui célèbre la femme et qui dénonce les fossoyeurs de notre civilisation.
Un cri de colère, un hymne à l’harmonie entre les femmes et les hommes, un plaidoyer pour une monde juste.

Le lecteur y découvrira des destins croisés de femmes
qui se battent de par le monde
contre l’intégrisme religieux,
les oppressantes traditions,
le patriarcat,
l’excision,
la marchandisation du corps féminin…

« Toute femme est une étoile qui pleure »
est un cri de colère, un hymne à l’harmonie,
un plaidoyer pour un monde juste. »

Extrait de « Toute femme est une étoile qui pleure »

éd. Dialogue Nord-Sud, 2013.

Et je revois ma mère le dos courbé comme un dôme, les talons gercés, le front plissé, un enfant mordant son sein et moi griffant ses joues.

Je la revois se débattre comme un roseau contre les tempêtes et donner des graines à ses coqs, à ses chatons, à ses moucherons.

Dans sa demeure en torchis, elle se prenait la tête à dix doigts et se remplissait une cruche de larmes qu’elle buvait quand elle avait faim, qu’elle brisait quand elle avait soif.

Elle avait l’art de pleurer et la décence de gémir tout bas quand dans le grenier il n’y avait que parois rancies, cendres et urine de rats.
Elle faisait des thés avec des feuilles de néfliers, des fleurs de citronniers et des pousses sauvages.

Elle faisait des galettes avec des glands, avec des racines, avec des écorces, avec le sel de sa sueur.

Elle dessinait des motifs sur des objets en terre cuite et nous contait des fables d’ogresses et de sorcières.

Avec un peigne édenté, elle se brossait la tignasse qu’elle lavait à l’eau de roche et au savon de Marseille.

Elle nouait un pagne couleur des champs autour des hanches et elle accrochait une broche à son sein qui allaitait les misères.

Ma mère était une lavandière qui essorait les tuniques de mon père dans les rivières croupissantes.

Ma mère était une muletière qui cueillait des fagots de bois des forêts hantées.

Ma mère était une mécanique qui avait une main sur le feu, l’autre dans l’eau, un pied dans la terre et l’autre dans le ciel.

Ma mère était belle et racée, triste comme un poème, brave comme la poussière, douce comme une divinité qui boite.

Ma mère réside dans la déchirure de l’humanité,
dans la faille du temps.

Ma mère appartient à la civilisation du silence.
Elle a la cicatrice dans l’âme et la plaie dans l’histoire.
Elle habite dans l’injustice éternelle,
elle habite dans la souffrance des dieux.

Ma mère habite à l’ombre des saisons,
ma mère a loué un coin au pied de la religion,
ma mère est enchaînée au pied de l’homme. »

« Karim Akouche sait dire ce qu’il a à dire, sans peur et sans fioritures.
Très rares, dans sa génération, sont ceux qui s’engagent intellectuellement, moralement et politiquement dans le combat contre l’intolérance, le fanatisme, le nationalisme et autres folies qui font le malheur des peuples. »

Boualem Sansal
⎯ Dans le Journal de Montréal

Karim Akouche déclare:

« L’islamiste gagne chaque jour des batailles contre l’Occident.
Il a réussi à restreindre la liberté de pensée, à séparer les femmes des hommes dans les piscines, à halaliser les menus scolaires, à fragiliser la laïcité, à ouvrir des mosquées dans les universités, à gagner des procès contre des États, à verrouiller plusieurs institutions internationales…

Le pire, c’est d’être traité d’islamophobe par des Québécois.
Suffit­­ le sanglot de l’homme blanc. Je m’oppose aux accommodements raisonnables­­ parce que personne ne devrait imposer sa foi.

L’islamisme est proche du consumérisme.
L’islamisme veut tuer le citoyen pour en faire un croyant.
Le consumérisme veut tuer le citoyen pour en faire un consommateur.

Il faut réenchanter le monde. »

⎯ Le révolutionnaire somnambule, Alger.

« Après la prière du vendredi. Vite, chausse tes sandales, sors, frère. Marche, marche, marche. Ris, danse, chante. Offre des fleurs, des bonbons, des dattes et des beignets. Faut montrer au monde entier que tu es pacifique, généreux, doux, civilisé. Faut travailler l’image, la maquiller avant de la poster sur les réseaux sociaux. Faut cacher les ordures, les guenilles, les défauts, les failles, les divisions. Faut surtout pas dire les vraies choses, nommer le mal, montrer les nœuds et les plaies. Tourne en rond, ou autour du pot, comme un agneau ou un veau, danse et souris.

Ménage les militaires et les islamistes, les deux têtes du monstre qui étouffe ton pays. Marche, en kamis, en casquette, en voile, en drapeau palestinien, avec ce que tu veux, mais jamais avec le drapeau berbère.

Tu as révolutionné la révolution, frère. Toi, tu n’es pas dur comme Robespierre. Tu ne coupes pas la tête du tyran. Tu le caresses dans le sens de la barbe et du képi. Bravo.

Ta nouvelle famille révolutionnaire est plus au moins soudée, ou plus au moins divisée, mais qu’importe, tout est confus, une sorte d’Arche de Noé, ou de Tour de Babel, une comédie bien algérienne chaude et épicée, et tant mieux, ou tant pis, tout est confus, faut s’en foutre, un peu, beaucoup, continue de marcher, comme un somnambule, épuise jambes et semelles, offre des fleurs, suce des bonbons, danse, chante la liberté. »


⎯ Histoire des lièvres devenus lapins,
ou la servitude volontaire des peuples racontée en fable

« Quelque part dans une région montagneuse se trouvait Tizgi, un territoire boisé occupé par un millier de lièvres fiers et heureux. Ils vivaient dans une communauté indépendante et organisée qui dépassait en matière de justice et de démocratie celle des humains. Même s’ils appartiennent avec les lapins et les pikas au même ordre, les lagomorphes, ils avaient une autre conception des lois de l’existence : leur comportement était façonné par des principes de solidarité et de tolérance. Sacralisant la liberté, ils haïssaient la prison et la violence au point de pardonner les coupables et d’excommunier les criminels et les violeurs.

Leur système de gouvernance était horizontal : ils n’avaient ni maître, ni esclave, ni chef, ni subalterne. Forgés par les aléas de la forêt, ils développèrent un instinct de défense naturelle : pendant que les uns dormaient, les autres surveillaient ; au cas de danger, d’un faucon ou d’un loup rodant aux alentours, ils bondissaient sur leurs longues pattes et prenaient la fuite.

Contrairement à leurs rivaux les lapins, ils ne creusent pas de terriers, ils logent à même le creux des arbres, les branches ou sous les buissons. Ils arrivent au monde presque adultes, poilus et les yeux ouverts. Ils sont tellement sauvages qu’ils se confondent avec la nature : ils changent de couleur selon les saisons, leur pelage devient brun l’été et blanc l’hiver. Ils sont plus grands et plus lourds, et ils ont de longues oreilles un peu comme celles des ânons. Ils sont si longilignes et agiles au point que leurs cousins leur inventèrent un sobriquet : « Les petits kangourous sans poche. »

Ils avaient tout dans la forêt. L’eau coulait à flot dans les rigoles et diverses plantes poussaient ça et là : entre les trembles, les chênes et les aulnes fleurissaient des trèfles, la vesce et du plantain. Gâtés par la nature, l’hiver ils traversaient les ruisseaux à la nage et l’été ils se livraient à des spectacles de danse sans fin.

À Tizgi régnait la paix jusqu’au jour où un homme monta du village voisin et perturba l’équilibre des choses. Avec des pièges, qu’il camoufla sous la terre et les feuilles, il attrapa plus de cent lièvres.

Le chasseur avait une ferme à l’entrée du village. Il y élevait toutes sortes d’animaux : des poulets, des dindons, des sangliers, des moutons, des vaches, des ânes et des chevaux. Tout seul, il approvisionnait la région en viande, en peau et en lait.

Il construisit des clapiers et y jeta les lièvres. Ces derniers, blessés et humiliés, refusèrent de se nourrir. D’une seule voix, ils boycottèrent les chardons, le chou et la laitue que leur donnait le fermier. Car, pour eux qui vivaient libres dans la forêt, c’était honteux de se retrouver enfermés comme des lapins dans des cages. Lorsqu’ils vivaient en liberté, ils traitaient d’ailleurs ces derniers de « de gros rats soumis ». Le bonheur du lièvre consiste, en effet, à se débrouiller seul, à bâtir un gîte où bon lui semble, à croquer des feuilles, des racines et des fruits qu’il trouve dans la nature.

Les jours passèrent et les lièvres, déterminés, ne mangeaient toujours pas. Ils étaient devenus maigres et pâles. S’ils venaient à mourir, le fermier perdrait des clients à qui il avait promis de la viande biologique. À l’aide d’un tube, attaché à une pompe, il les nourrit de force. Peine perdue : étant violentés et stressés, les lièvres ne grossissaient pas. Conscient de leur côté « sauvage » et récalcitrant, l’éleveur réfléchit à une stratégie de domestication. Il passa plusieurs nuits à observer leur comportement, à lire des manuels et à prendre des notes.

Il lit dans un livre une phrase qui le secoua : « Ne laissez pas vos serfs s’unir. » Il sépara sur-le-champ les mâles des femelles qu’il plaça dans des clapiers qui se faisaient face. Il battait les premiers tandis qu’il caressait les secondes. Le traitement de faveur dont bénéficiaient les femelles créa la première division dans la communauté. Celles-ci acceptèrent les premières l’eau, les carottes et les céréales de l’éleveur avant que les mâles, à leur tour, fléchissent leur position.

Quelques semaines après, le fermier étiqueta les lièvres, leur mit une chaîne au cou et attribua à chacun un numéro. Certains commencèrent à se comporter comme des lapins et à en tirer une certaine fierté. Leur espace de liberté devint le clapier. Ils n’hésitaient pas à qualifier les lièvres restés encore dans les bois de « sauvages ». Mais quelques-uns restèrent fidèles à leur passé d’animaux libres et indomptables : en signe de protestation, ils déchirèrent leur collier et jetèrent leur numéro.

Le fermier, vexé, prit le plus rebelle d’entre eux et le tua. Il en fit un festin qu’il offrit à ses chiens. Quelques lièvres protestèrent et tentèrent de convaincre les autres d’observer une grève de la faim, mais en vain car l’éleveur affina sa stratégie de domestication et divisa davantage la colonie : il favorisa les beaux, les costauds, les plus clairs au détriment des noirs, les dociles au dépens des trublions.

Lorsqu’il revint pour en prendre un autre, les moins obéissants rechignèrent timidement et les autres, les privilégiés, les découragèrent et leur conseillèrent de se taire. Puis, habitués à voir de temps à autre quelques-uns d’entre eux vendus ou égorgés, ils entrèrent dans les rangs et acceptèrent avec résignation leur nouveau destin.

Un jour, deux lièvres, conscients de leur condition brutale de prisonniers, s’insurgèrent. Ils proposèrent une plateforme de revendications pour rendre à leurs congénères leurs droits bafoués et leur souveraineté confisquée : « Si nous sommes séquestrés dans ces clapiers puants, ce n’est pas à cause du fermier, mais à cause de nous. C’est nous, avec notre consentement, qui avons accepté sa tyrannie. Ce n’est pas lui notre tyran, mais c’est nous qui sommes ses esclaves. »

Une voix, puis deux, puis plusieurs s’élevèrent pour qualifier les rebelles d’agitateurs et de traîtres de la ferme.
Découragés, ils terminèrent leur discours avec ces mots :
« Nous ne cherchons pas à remplacer le fermier,
mais nous refusons de lui obéir.
Nous ne voulons pas prendre son pouvoir,
mais nous désirons nous autogérer.
Nous ne vous demandons pas de travailler contre lui,
mais pour vous.
Nous ne vous invitons pas à le haïr,
mais à vous aimer. »

Les deux révoltés frôlèrent le lynchage. Ils furent rapidement dénoncés. L’éleveur les égorgea devant tout le monde. Ce fut la terreur dans la ferme. Plus jamais un lièvre ne se révolta depuis.

Promus, décomplexés, les lièvres serviles, les collaborateurs, les préférés du fermier, les plus lâches, montaient sur leurs frères et leurs sœurs et n’hésitaient pas à les écraser, à les humilier. S’ils supportaient l’injustice de leur maître, c’est parce qu’ils en faisaient subir autant à leurs subordonnés. Ils étaient les complices de l’éleveur, de sa froideur, de sa violence, de sa tyrannie.

Les lièvres, définitivement lapinisés, non seulement cessèrent de se révolter, mais ils se battaient pour être les premiers à être vendus ou sacrifiés. Ils renoncèrent aussi bien à leur liberté qu’à leur dignité.

Les hases et les bouquins s’accouplaient et donnaient naissance à une tribu de levrauts. Ceux-ci, nés et élevés dans des cages, se comportaient exactement comme des lapins : obéissant au fermier et acceptant leur sort sans ronchonner. Chaque fois qu’un lièvre disparaissait de la cage, ceux qui restaient fêtaient l’événement.
Se sacrifier pour le fermier était un geste de gratitude, une action noble. Ils étaient fiers de leur peau et de leurs poils qui faisaient le bonheur des fabricants de costumes et de chapeaux, fiers de se donner en cobayes aux laboratoires, fiers de leur viande que s’arrachaient les restaurateurs, fiers aussi d’amuser les enfants dans des foires d’animaux.

Grâce à l’argent gagné de la vente des lièvres, l’éleveur agrandit et modernisa sa ferme. Il cessa de nourrir ses bêtes à l’aide des aliments naturels. Il les gavait aux engrais et aux hormones. Il acheta des baffles qu’il suspendit au-dessus des clapiers. La musique, pensa-t-il, les ferait grossir. Plus ils prendraient du poids, plus ils se vendraient cher.

Quelques années plus tard, le fermier mourut dans un accident de voiture. Les lièvres devenus lapins pleurèrent et le regrettèrent. Sans leur maître, ils furent orphelins. Ils se retrouvèrent dehors, retournèrent à Tizgi, dans les bois, loin de la ferme. Ils se sentirent emprisonnés… même à ciel ouvert. »